Nous les aimons.
Et pourtant, il s’agit d’êtres détestables, ayant commis des gestes atroces.
D’une étrange façon, les tueurs en série ne cessent de nous fasciner. Nous trouvons leurs gestes horribles, n’aimerions jamais nous trouver face à l’un d’eux, mais demeurons attirés par ces personnages et voulons en savoir toujours un peu plus sur leur façon d’être et de penser.
Quand on y pense, c’est quelque peu étrange, non ?
Est-ce parce que plusieurs d’entre nous cachent une déviance, un caractère d’obsessionnel compulsif malsain (à la manière de ces gens qui regardent la série Friends pour la dixième fois) ? Ou est-ce parce que collectivement, nous sommes plus névrosés que nous le croyions ?
Pas nécessairement.
Parce qu’il semblerait que des mécanismes tout à fait humains et normaux soient à l’œuvre derrière ce comportement.
Explorons donc aujourd’hui pourquoi nous sommes tant attirés par les tueurs en série.
L’être humain a toujours été fasciné par le morbide
Aussi loin que l’on remonte, il y a toujours eu des histoires sordides et des gens pour en observer le déroulement. Que l’on pense aux décapitations ou pendaisons réalisées en public à une certaine époque, ou à tous ces films et séries télé qui sortent sur les tueurs en série, il se trouve toujours une bande de désaxés pour contempler l’enchaînement noir des événements et en apprécier l’issue.
18e siècle : Schlak ! La guillotine frappait, découpait, et le peuple applaudissait. Crack ! La corde tombait, le cou se brisait, et la foule réagissait de la même manière. Les sorcières, nous en avons brûlé ! Des messieurs et des dames, nous en avons torturé !
Nous n’avons pas à remonter trop loin dans l’histoire humaine pour nous rappeler toute la souffrance que l’être humain se plait à donner.
Aujourd’hui, ce goût du sang et du morbide se retrouve notamment dans ces histoires de tueurs en série, omniprésentes à la télé et sur le web.
Pensons à toutes ces séries Netflix qui s’enchaînent sur le sujet : The Killing, Making a Murderer, Dans la tête des criminels, Mindhunter, qui ne sont que quelques-unes parmi l’offre grandissante. Ensuite, qui ne se souvient pas des fameux Le silence des agneaux, Le Zodiac, American Psycho, Halloween ou Massacre à la tronçonneuse ?
Alors, pourquoi aimons-nous autant ces œuvres ?
Une partie de cette question pourrait être répondue par Eugen Bleuler et son concept de l’ambivalence affective.
L’ambivalence affective
L’ambivalence affective, c’est ce phénomène faisant en sorte que l’être humain va, oui, ressentir de l’empathie face à la douleur d’un autre, mais va par le fait même ressentir une dose de plaisir en le voyant souffrir.
Il semblerait que c’est lié à notre instinct de survie. Parce que nous ne souhaitons pas ressentir cette même douleur et sommes donc heureux qu’elle se produise chez un autre.
Cette proximité entre douleur et plaisir nous fait d’ailleurs un peu mieux comprendre les amoureux du BDSM.
Les tueurs en série font partie d’un star-système
Les tueurs en série font partie d’un star-système, reprenant certains codes des star-systèmes conventionnels.
Par la communication de masse, les journaux, la radio, la télé; ceux-ci ont été érigés en antihéros. C’est-à-dire qu’on a tant parlé d’eux, qu’ils sont devenus des sortes de figures mythiques, présentées comme des personnes à la force et à l’intelligence surhumaines.
Désormais, nous connaissons donc aussi bien Ted Bundy que Charles Manson, Ed Gein ou Pogo le clown (si vous ne les connaissez pas, vous pouvez trouver plusieurs listes exhaustives sur le web).
Nous savons bien que ces gens sont différents de nous. Et la différence fascine.
Au point où elle pousse de nombreuses femmes à faire des demandes en mariage une fois qu’un tueur en série a été incarcéré. C’est le cas de Charles Manson, qui s’est marié en prison ou celui-ci de Ted Bundy qui a eu un enfant alors qu’il était derrière les barreaux.
Romantique, non ?
Par la surmédiatisation des personnages, l’on en fait en quelque sorte des personnages de nos contes sociétaux modernes.
Puis, comme l’être humain demeure un animal très curieux, il est normal qu’il souhaite en voir toujours en peu plus. Nous sommes les Curious George du sordide.
Les tueurs en série sont, d’un point de vue psychologique, une protection sociale contre le mal
Malgré toute cette fascination, nous pouvons arguer que notre obsession pour les tueurs en série sert aussi à jouer un rôle positif.
Le crime, a non seulement toujours existé et existera toujours, mais est nécessaire. Pour Émile Durkheim, le crime est une réponse à la violence déjà présente, et permet à la morale et au droit d’évoluer en parallèle. Une société plus juste est peut-être ainsi une société qui en connait davantage sur le crime.
Ainsi, une société où les individus s’intéressent au crime (ex : les tueurs en série) est peut-être plus sécuritaire qu’une société qui ne s’y intéresserait pas.
Nous sommes attirés par les représentations archétypales du tueur en série, parce qu’elles nous servent d’exutoire, de catharsis (au sens où Aristote l’entendait , c’est à dire pour purger nos passions), mais aussi comme modèle de « mauvaise humanité » qu’il nous faut éviter.
Pour Freud, l’humain se définit par trois instances psychologiques. Le ça (couche inconsciente, univers de pulsions), le moi (qui assume les fonctionnalités conscientes, gère le langage) et le surmoi (qui représente l’autorité, les règles, les « tu ne dois pas » qui ont été intériorisés).
Il faut se rappeler que malgré le fait que les tueurs en série sont généralement représentés comme des surhommes (ou surfemmes, bien que les tueuses en série soient plus rares), ils demeurent aussi représentés comme des êtres déchus, brisés, vivant dans la douleur et répandant la tristesse.
De cette manière, il est possible que, bien que nous soyons fascinés par les tueurs en série, nous reconnaissions par le même coup leur déchéance et leurs mauvais comportements comme quelque chose de non souhaitable (ah oui ?). Et donc, nous intériorisons ces « tu ne dois pas » dans notre surmoi (dans ce cas-ci, devrais-je plutôt dire « surnous » ?), de façon à nous protéger contre les pulsions les plus horribles qui pourraient vouloir émerger.
Il s’agit donc là d’une éducation médiatique et collective.
Plus simplement : nous pourrions aussi être fascinés par les tueurs en série parce qu’ils sont pour nous une représentation de ce qui est mal, d’un comportement que nous souhaitons éviter en société.
Au final
Nous pouvons penser que ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose d’être attirés par les histoires sordides, comme celles de nos amis les tueurs en série. Ceux-ci nous intéressent oui, parce que nous aimons les histoires de souffrance, sommes intrigués par ces antihéros, mais aussi parce que nous souhaitons ne pas devenir comme eux.
Il ne faut donc pas obligatoirement considérer notre appréciation des tueurs en série ou du morbide comme quelque chose de malsain.
Sauf si votre objectif est d’étudier les tueurs en série pour vous pratiquer à les imiter dans vos temps libres. Là, je pense que vous devriez consulter.
Vraiment intéressant! Je me suis toujours demandé pourquoi moi-même j’aimais tant ces histoires de serial-killers, notamment ces docus comme celui du Petit Gregory sur Netflix ou Ted Bundy. Très bonne analyse, merci! 🙂